L'achat de Rue 89 et les bénéfices de Médiapart plus l'article sur les tendances journalistiques de 2012 complètent à merveille cet instantané sur l'état des médias fait à partir du travail des documentalistes du Clemi.
Requiem pour la presse écrite ?
La simple lecture des titres d’articles relevés par les documentalistes du Clemi dans l’Infodoc.presse du 16/12 http://www.clemi.org/fr/centre-de-documentation/indodoc-presse/ (à découvrir également ici http://www.scoop.it/t/infodoc-presse-veille-sur-l-actualite-des-medias ) illustre la profonde mutation que le numérique est en train d’imposer à la presse écrite.
1. Grandeur et décadence de « France Soir » (1944-2011). Louis de Courcy. La Croix,
16/12/2011.
http://www.la-croix.com/Culture-Loisirs/Culture/Actualite/Grandeur-et-decadence-de-France-Soir-1944-2011-_EG_-2011-
12-15-747316/%28page%29/1
Ce journal, dont le premier numéro est paru le 8 novembre 1944, (il portait en surimpression les initiales de Défense de la France, le titre créé sous l’Occupation, dont il est issu) tirait en 1958, le à 1 228 000 exemplaires.
La DGMIC (Direction générale des médias et des industries culturelles) vient d’ailleurs de publier des statistiques éclairantes sur le tirage des titres quotidiens d’information générale et politique depuis 1945 (Cette catégorie comprend les quotidiens nationaux ; les quotidiens locaux, et, depuis 2002, les quotidiens gratuits.) Consulter la publication
L’évolution négative des tirages des journaux
(en milliers d'exemplaires)
| Quotidiens nationaux | | Gratuits | | |
Année | Nombre de titres | Tirage total | Nombre | Tirage total | |
1946 | 28 | 5 959 | | | |
1956 | 14 | 4 441 | | | |
1966 | 14 | 4 391 | | | |
1976 | 13 | 2 970 | | | |
1986 | 12 | 2 885 | | | |
1996 | 10 | 2151 | | | |
2006 | 10 | 1901 | 7 | 1 655 | |
2010 | 10 | 1830 | 13 | 2 652 | |
Les lecteurs de France-Soir vont s’éparpiller et aller surtout vers la télévision, rappelle Philippe Tesson :
2. Que font les lecteurs d’un journal qui disparaît ? Philippe Tesson. La Croix, 15/12/2011.
http://www.la-croix.com/Culture-Loisirs/Culture/Actualite/Que-vont-faire-les-lecteurs-de-France-soir-apres-sa-disparition-
_NG_-2011-12-14-747008
Ou alors ils vont grossir le flot de consommateurs de vidéos : 3. Les Français regardent plus d’un milliard de vidéos par mois sur YouTube. Fabienne Schmitt. Les Echos, 15/12/2011.
http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/tech-medias/actu/0201795798304-les-francais-regardent-plus-de-1-milliardde-videos-par-mois-sur-youtube-263383.php
ou contribuer à la prospérité des réseaux sociaux :
4.Facebook lance enfin sa nouvelle page profil. Marie-Catherine Beuth. Le Figaro,
16/12/2011.
http://www.lefigaro.fr/medias/2011/12/15/04002-20111215ARTFIG00490-facebook-lance-enfin-sa-nouvelle-page-profil.php
Pendant ce temps, Google développe son monopole :
5. Le sarkozysme est atteint d’une crise aiguë de « googlisme ». Thomas Clay.
Le Monde, 15/12/2011.
http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/12/14/le-sarkozysme-est-atteint-d-une-crise-aigue-de-googlisme_1618423_3232.html
et les portables nous espionnent :6. Le portable, ce compagnon trop bien informé. Franck Johannès. Le Monde, 15/12/2011.
De leur côté, les Chinois expérimentent la pratique d’un contre-pouvoir :
7. La nuit sur Weibo, le Twitter à la chinoise. Pierre Cochez. La Croix, 14/12/2011.
La Chine compte un demi-milliard d’internautes.
http://www.la-croix.com/Actualite/S-informer/Monde/La-nuit-sur-Weibo-le-Twitter-a-la-chinoise-_NG_-2011-12-15-747207
tandis que les citoyens français peuvent exploiter les données publiques mises en ligne par le gouvernement : 8. Des données qui coulent de sources. Sophia Fanen. Libération, 14/12/2011.
http://www.liberation.fr/medias/01012377468-des-donnees-qui-coulent-de-sources
9.La presse est morte, vive la presse. Isabelle Hanne, Frédérique Roussel. Libération,
15/12/2011.
http://www.liberation.fr/medias/01012377760-la-presse-est-morte-vive-la-presse
Cet article rappelle la situation très difficile de la plupart des quotidiens nationaux français et les solutions recherchées par les journaux pour faire face à la révolution numérique : édition sur le web uniquement, semi-gratuité, formule payante, passage sur de nouveaux supports comme tablettes et smartphones, (même si ce n’est pas facile cf. 10. Apple et la presse : pas si compatibles. Yves Eudes. Le Monde, 14/12/2011.
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/12/13/apple-et-la-presse-pas-si-compatibles_1617965_651865.html)
Nous assistons également à la multiplication des pure players, médias d’information uniquement sur Internet : http://www.franceculture.fr/blog-soft-power-2011-12-04-annee-chargee-pour-la-presse-en-ligne
http://www.telerama.fr/medias/infographie-les-sites-d-info-pure-players-passes-au-crible,74956.php
http://www.lexpress.fr/actualite/media-people/media/qui-sont-les-petits-nouveaux-de-l-info-en-ligne_1058125.html
Une note d'analyse du Centre d’analyse stratégique aborde la recomposition du paysage de la presse écrite, les atouts de la presse en ligne et la difficile adaptation d'une filière et d'un métier.
Auteurs : Sarah Sauneron, département Questions sociales et Julien Winock, service Veille et Prospective
Télécharger la Note d'analyse 253 - La presse à l'ère numérique : comment ajouter de la valeur à l'information ?
Le web n'a pas tué la presse écite
Encadré Des mesures radicales pour défendre indépendance et pluralisme
Dès le 6 mai 1944, une ordonnance rétablit le principe de la liberté de la presse, tout en maintenant la censure et l’autorisation préalable jusqu’à la fin des combats. D’une part, les journaux collaborationnistes sont remplacés par des organes de la Résistance tandis que l’on assiste à une épuration partielle du personnel journalistique : condamnations à mort ou à la prison, peines de suspension de toute activité journalistique. Sur 1282 journaux d’information générale avant-guerre, seuls 315 ont le droit de réapparaître.
D’autre part, les instances de la France libre mettent en place de nouvelles lois. Dans le but de garantir leur indépendance, elles redéfinissent les conditions d’autorisation et de financement des entreprises de presse : transparence exigée dans la direction et le capital du journal, limitation de toute forme de concentration économique (impossibilité de posséder plus d’un quotidien par exemple). Mais le statut de l’entreprise de presse ne verra jamais le jour.
Les autorités règlementent également les structures en étatisant ou en suscitant la constitution d’établissements privés à but non lucratif : par exemple, pour alléger les coûts rédactionnels, l’Agence France Presse (AFP) en tant qu’entreprise publique dont le directeur est nommé en Conseil des ministres (depuis 1957, il est nommé par un conseil d’administration où siègent 3 représentants de l’Etat). La SPPP (Société professionnelle des papiers de presse) fournit le papier en garantissant la péréquation des tarifs afin de ne pas pénaliser les plus petits. La distribution des journaux est confiée aux Messageries françaises de presse (MFP) dont le capital appartient aux journaux parisiens regroupés en coopérative et qui exploitent au départ les biens du groupe Hachette, accusé de collaboration. Suite au rejet de cette accusation, au remboursement qui s’en suit et aux conséquences d’une grève des ouvriers du Livre, les MFP font faillite. La loi Bichet du 2 avril 1947 donne naissance aux Nouvelles Messageries de la presse parisienne (NMPP) dont le capital est détenu à 49% par Hachette et à 51% par cinq coopératives d’éditeurs. Cette loi exclut le but lucratif de la distribution et garantit un principe d’impartialité, de pluralisme et d’égalité entre tous les titres.
L’Etat protecteur qui a fixé les cadres d’une stricte égalité entre les titres : prix de vente unique, répartition du contingent de papier, format, périodicité, mettra également en place un système d’aides à la presse à commencer par une aide postale. Elles constituent dans les années 80 de 15 à 20 % du chiffre d’affaires des journaux.
L’Etat instaure également le monopole dans le domaine de la radio et de la télévision naissante.
Les idéaux vont être mis à mal par l’encadrement de la liberté d’expression sous l’effet des guerres de décolonisation, par la crise de la presse d’opinion liée à une crise du lectorat, par le retour des grands intérêts économiques, de la publicité, et des luttes de concurrence. La continuité avec la presse d’avant-guerre devenue collaborationniste, notamment pour ce qui concerne le rejet du communisme ou la foi de principe accordée aux notables, semble l’emporter sur les signes de rupture dans le cas du Dauphiné libéré par exemple (). La crise économique élimine très vite les journaux les plus fragiles et le resserrement du marché se fait aux dépens de la presse d’opinion. La concentration va bon train dans la presse régionale et Hersant constitue un groupe.
Les années 1950 voient aussi une recomposition du monde des médias avec le retour en force de la presse populaire, la naissance de la télévision et la percée des radios périphériques.
Attaques contre les structures mises en place à la Libération
La crise économique que subit la presse a pour conséquences une évolution du système de distribution. D’une part la loi Bichet qui a instauré l’impartialité de la distribution de la presse, afin d’assurer le pluralisme de celle-ci, est en train d’être modifiée. Il est proposé de créer une nouvelle instance, l’Autorité de régulation de la distribution de la presse, l’ARDP, autorité administrative indépendante composée de trois membres issus du Conseil d’État, de la Cour de cassation et de la Cour des Comptes qui a vocation à valider toutes les décisions du CSMP (Conseil supérieur des messageries de presse rénové par la loi), ainsi qu’à arbitrer les conflits.
http://www.senat.fr/seances/s201105/s20110505/s20110505.pdf
La forte diminution des ventes, liée en partie à l’essor du numérique et des supports mobiles, est en grande partie responsable du déficit de Presstalis (nouvelle appellation des NMPP). Or, le groupe Lagardère s’est récemment retiré de la distribution de la presse en cédant ses parts pour un euro symbolique. Depuis le 1 er juillet, Presstalis, devenue une SAS (société par actions simplifiée), est détenue par deux coopératives, l'une de magazines (qui en possède75 %) et l'autre de quotidiens (pour les 25 % restants). Presstalis est actuellement confrontée au départ pour la concurrence de plusieurs magazines et au recul des ventes de journaux.
Le changement de statut de l’AFP en société anonyme à capitaux publics est souvent évoqué. Un récent projet de loi s’y oppose : « la perspective de doter l'AFP d'un capital, que celui-ci repose ou non entièrement sur des capitaux publics, est de nature à susciter des soupçons quant à l'indépendance de l'Agence vis-à-vis d'intérêts aussi bien étatiques que privés ».
http://www.senat.fr/leg/ppl10-522.html
Daniel Salles, académie de Grenoble
Lire le livre de l’association Le Postillon Pourquoi le Daubé est-il daubé ? Histoire critique du Dauphiné libéré, Éditions Le Monde à l’envers, 3e trimestre 2010).